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« Bientôt les vivants », un roman poignant d’Amina Damerdji
 
L’écrivaine et chercheuse franco-algérienne Amina Damerdji, après son premier roman, Laissez-moi vous rejoindre, qui a eu un grand succès, vient de nous surprendre pour notre plus grand bonheur par la publication d’un deuxième roman lumineux au titre évocateur, Bientôt les vivants, toujours chez les éditions Gallimard. Il a été récompensé par le prix Transfuge du meilleur roman français 2024.
Il est des écrivains qui illuminent par le style et la force de la narration élevant au paroxysme l’élan littéraire et poétique, envoûtant l’imaginaire, laissant le lecteur entre les larmes et l’émerveillement, envahi par un flot d’émotions qui s’écoule page après page, malgré les drames et les déchirures, interpellant la conscience, l’esprit et le cœur humain, Amina Damerdji en fait partie.
Amina Damerdji a l’art d’écrire, son style s’affine et arrive à maturité, elle tisse sa toile et le génie littéraire fait le reste.
Dès les premières pages on se sent embarqué vers un voyage qui met tous les sens en alerte, le souffle coupé renaît puis s’accélère, s’essouffle et s’apaise, Amina Damerdji a le génie littéraire, qu’ont seulement les plus grands écrivains comme William Faulkner, Honoré de Balzac, Victor Hugo, Gabriel García Márquez, Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Mohamed Dib, Tahar Djaout pour son livre, les vigiles, sa dernière publication avant d’être assassiné, Youcef Zirem, particulièrement pour ses livres, la guerre des ombres, l’homme qui n’avait rien compris, et la porte de la mer.
Amina Damerdji articule ses personnages à la fois écorchés et attachants, immergés malgré eux dans ces années noires, de tant d’incompréhensions, d’incertitudes, qui laissent la pensée dans l’impasse.
Dans une Algérie plongée dans le chaos, dans une société algérienne en ébullition, en mutation, en perte de repères, livrée aux extrêmes, dans la barbarie, la détresse et le sang versé, la nature est là heureusement pour nous rappeler qu’après la tempête l’éclaircie est possible.
La Matin d’Algérie : Vous êtes écrivaine, chercheuse en lettres et sciences sociales, très en vogue, qui est Amina Damerdji ?
Amina Damerdji : Je suis née aux États-Unis puis j’ai grandi à Alger jusqu’à sept ans. Dans ma famille (algérienne et française) mais aussi à travers nos déménagements puis, plus tard mes voyages (j’ai vécu à Madrid et à La Havane), j’ai rencontré des gens très différents, qui pensaient, sentaient et voyaient le monde de façon singulièrement différentes, parfois même opposées. Je me suis construite dans cette pluralité.
 
La Matin d’Algérie : Vous venez de publier Bientôt les vivants, chez Gallimard, un livre poignant, déchirant, dont l’histoire se déroule dans les années les plus noires de l’Algérie post-indépendance, vous avez vécu cette période où la mort était l’ombre des vivants, comment peut-on survivre après cela ?
Amina Damerdji : C’est précisément ce que raconte le livre : malgré les massacres, malgré les pertes de proches, malgré la peur, les Algériens et les Algériennes faisaient plus que survivre : ils vivaient. Ils allaient au travail, avaient des histoires d’amour, des rêves, des déceptions, faisaient la fête etc. Quand on parle de la décennie noire, on parle des massacres, des paroxysmes de violence (et la violence était là, bien réelle) mais on ne parle jamais de ce qu’il y avait autour : cette incroyable capacité à continuer à vivre.
La Matin d’Algérie : Vous avez l’art du choix des titres, Laissez-moi vous rejoindre, pour votre premier roman, et, Bientôt les vivants, pour votre deuxième roman, des titres phares qui accaparent au premier regard la curiosité du lecteur, comment faites-vous ?
Amina Damerdji : Pour les deux romans, les titres sont venus à la fin. Pour Laissez-moi vous rejoindre, il s’agit des derniers mots de la narratrice. Bientôt les vivants, est quant à lui emprunté à Kateb Yacine, à la deuxième strophe de « Poussière de juillet » :
« Et même fusillés
Les hommes s’arrachent la terre
Et même fusillés
Ils tirent la terre à eux
Comme une couverture
Et bientôt les vivants n’auront plus où dormir »
Dans ce poème magnifique, Kateb Yacine parle du poids des morts d’une autre guerre, la guerre d’Indépendance : en isolant la première partie du vers, on va vers quelque chose de plus lumineux qui est, je l’espère, la trajectoire du roman.
Kateb Yacine et M’hamed Issiakhem : digressions sur deux livres
La Matin d’Algérie : Vous avez le génie littéraire, quels sont les auteurs qui vous influencent ?
Amina Damerdji : J’ai été influencée très tôt par des poètes. Arthur Rimbaud a été la première référence importante pour moi. Sa déconstruction du vers et surtout le fait que le geste d’écriture soit essentiellement chez lui un geste d’autonomie, de liberté m’a marquée dans mon adolescence. Il y a aussi eu le poète espagnol Federico García Lorca, assassiné au début de la guerre civile. Son rapport à la noirceur et à la lumière m’a fascinée. Chez les romanciers, Virginia Woolf pour sa manière de nous plonger dans le flot des pensées des personnages, Gabriel García Márquez pour son art de conter et son humour.
La Matin d’Algérie : Dans une Algérie qui se cherche, qui tend à se refermer de plus en plus sur elle-même, qui peine à se démocratiser, la littérature peut-elle aider à cette émancipation, à cette ouverture que le peuple attend comme une bouffée d’oxygène ?
Amina Damerdji : Le pouvoir du roman est précisément de briser les murs. En abordant le monde à travers la complexité et la richesse des personnages, en faisant un pas de côté par rapport à la langue quotidienne, en ouvrant sur l’imaginaire, la littérature permet de sortir des positions campées, des éléments de langage qui rétrécissent la pensée.
La Matin d’Algérie : L’écrivain veille et interpelle les consciences, pour les rendre meilleures, c’est un rôle qu’il endosse, qui s’impose, en ce sens, il y a beaucoup d’enseignements à tirer de votre livre, l’écrivain algérien Youcef Zirem dit qu’il n’y a pas de meilleur idéal que de se battre pour les droits humains, pour l’humanisme, pour le progrès, pour une vie digne pour toute l’humanité, qu’en pensez-vous ?
Amina Damerdji : Bientôt les vivants, n’est pas un roman militant. Il raconte un monde, celui de l’Algérie des années 1990, et pose une question existentielle qui dépasse le cadre de l’Algérie, une question que nous avons tous été amenés à nous poser : doit-on maintenir coûte que coûte les liens avec nos proches, notre famille, même quand ce lien nous abîme ?
La Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours et à venir ?
Amina Damerdji : Je commence à entrevoir le monde de mon troisième roman. L’Algérie n’en sera pas absente mais j’en parlerai quand je serai plus avancée dans l’écriture.
 
Entretien réalisé par Brahim Saci
Livres :
Bientôt les vivants, roman, éditions Gallimard, 2021
Laissez-moi vous rejoindre, roman, éditions Gallimard, 2024
Poésie et dissidence à Cuba : Engagement et désengagement des écrivains, de la Havane à Madrid (1966-2002) éditions Casa Velazquez, 2022
 
Lematindalgerie.com
Lundi 8 avril 2024
 
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