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Le chanteur Brahim Saci à Mon Journal : « L’intellectuel algérien en France peine à survivre »

Brahim Saci est l’un des plus grands chanteurs kabyles. Auteur, compositeur et interprète de ses chansons, il ne cesse de se distinguer. Sa ressemblance avec l’immense Slimane Azem fait de lui une légende vivante. Vivant en France depuis plusieurs décennies, mais toujours attaché à sa patrie. Dans cet entretien exclusif, celui que la presse surnomme « L’incarnation de Slimane Azem » nous raconte ses multiples quêtes artistiques. Il nous révèle, en outre, des vérités occultées sur l’émigration algérienne et sur l’intellectuel algérien, souvent marginalisé, loin de sa terre natale.

Mon Journal :

Vous êtes établi en France depuis l’âge de 10 ans.

Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

Brahim Saci :

Cela va faire bientôt 40 ans que je vis en France, les cinq premières années à Pierrefitte-sur-Seine, le restant, c’est-à-dire près de 35 ans, à Paris. Mon départ d’Algérie, de Kabylie, depuis Tifrit Naït Oumalek dans la commune d’Idjeur, beau village situé au pied de l’Akfadou, fut un déchirement, une séparation douloureuse. L’enfance passée au village était magique. A cette époque, les valeurs humaines d’entraide ancestrale kabyle étaient encore très vivaces. Le village n’avait pas d’électricité, les soirées au coin du feu, éclairées juste par une petite lampe à gaz, écoutant émerveillés les contes kabyles racontés par ma grand-mère Samah Zahra et ma mère Yahiaoui Cherifa dite Tassadite, restent gravées dans mon cœur pour l’éternité. Ce fut un monde enchanté loin du matérialisme occidental.

La séparation avec cet univers merveilleux est une blessure encore vive en moi. Arrivé à Paris fin 1975, mon père Si Mohand Tahar, ne pouvant me garder, car vivant seul comme la plupart des immigrés dans un hôtel meublé du XXème arrondissement, me confia à sa sœur, ma tante Taklite, épouse Ladaoui Mohand, originaire du village d’Ahmil à côté de Yakouren, qui habitait Pierrefitte-sur-Seine où je fus donc scolarisé en CM2 à l’école primaire Eugène Varlin. Je fis mes premiers pas en France à la fois éperdu et émerveillé. La famille Ladaoui a fait de son mieux pour m’intégrer dans l’environnement familial, mais je me sentais si seul, et mes pensées étaient ailleurs, en Kabylie auprès de ma mère, mon frère et ma sœur et les sentiers du village où j’ai tant gambadé. La poésie’ heureusement’ est salvatrice, je m’y réfugiais dans mes moments difficiles, comme pour fuir cet exil amer qui m’était imposé et que mon cœur d’enfant ne pouvait comprendre. La scolarité fut difficile, car ne connaissant pas bien la langue française, je peinais à suivre. Mais heureusement que les deux années de français comme langue étrangère suivies au village étaient à la hauteur, j’ai eu la chance d’avoir un instituteur extraordinaire, M. Mouhoune M’hamed.

On peut dire que c’est grâce à son enseignement de qualité que j’ai pu suivre une scolarité normale en France. A l’école Eugène Varlin, j’ai eu aussi la chance d’avoir un directeur hors du commun, M. Jean Dalarun, un grand homme dont l’enseignement était une vocation. Ce gentil monsieur, si prévenant, qui m’a fait aimer l’école, ainsi que l’institutrice, Madame Chariot, qui m’a aussi beaucoup marqué par son attention, sa gentillesse, sa disponibilité, souriaient quand je les tutoyais. Grâce à eux, j’aimais l’école, j’y étais heureux ! Ces gens d’exception se font rares aujourd’hui. Par la suite, la scolarité a été un parcours du combattant jusqu’à l’université. Au collège Gustave Courbet, je me suis lié d’amitié avec un surveillant, Patrick Gervaise, qui préparait une thèse d’histoire, qui m’a beaucoup soutenu moralement et scolairement jusqu’au bac.

La poésie heureusement était encore là, m’aidant à voir dans la nuit, à supporter le regard des autres, de ces regards qui vous accusent d’être là, qui vous font sentir que vous êtes d’ailleurs. Mais il y a, grâce à Dieu, des rencontres d’exception qui aident à aller de l’avant. Le racisme, hélas, nous suit partout comme une ombre, où que l’on aille. Même après des études poussées, le marché du travail nous ouvre difficilement ses portes. Il nous est difficile d’y accéder même à des emplois qui ne nécessitent pas de qualification. Les années passent et l’exil se fait pesant de jour en jour. Dans une Algérie qui peine à se démocratiser, le rêve du retour s’évanouit peu à peu, nous laissant entrevoir un avenir sans lueur, empli de cauchemars et de regrets. Après les années de jeunesse qui font le cœur léger, l’exil devient l’ennemi ravageur : point d’amour, point d’amitié dans une solitude sans fin.

Vous avez été dessinateur à Paris, une opportunité qui vous a, sûrement, ouvert une fenêtre sur le monde, n’est-ce-pas ?

J’ai effectivement dessiné sur les places touristiques parisiennes de 1983 à 1996, en tant que portraitiste-caricaturiste, mais on peut dire que j’étais surtout caricaturiste. Ces années m’ont paru heureuses car j’ai baigné littéralement dans les arts. J’ai beaucoup dessiné la nuit, ce qui m’a permis de rencontrer le monde de la nuit. Les gens de la nuit sont différents de ceux du jour, ils sont moins stressés, plus disponibles, plus ouverts. La vie est faite de rencontres et j’ai côtoyé des gens de différentes cultures, d’Europe, d’Amérique, d’Asie, d’Afrique. Ce métier m’a aussi permis de voyager, en Suisse, en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas.

La caricature m’a permis de prendre du recul par rapport à une vie difficile où le racisme nous suit comme une ombre. L’Art n’a pas de frontières. La caricature m’a permis de tourner en dérision des situations étouffantes. L’humour, le rire sont des clés pour dépasser les bassesses humaines, et permettent d’être moins réceptifs aux blessures intérieures, celles qui ne sont pas palpables, mais sont dévastatrices. Malgré beaucoup de rencontres, je n’ai pas pu intégrer un organe de presse en tant que caricaturiste, ce qui m’aurait permis de mieux vivre. J’ai pourtant rencontré beaucoup de caricaturistes qui dessinaient pour la presse mais il était impossible de pénétrer cet étroit réseau, je dirais même qu’il est quasiment impossible de s’en approcher. J’ai aussi animé beaucoup de soirées en tant que caricaturiste où j’ai rencontré de nombreux artistes, acteurs culturels français, de la télévision et de la presse écrite. Mais impossible de se faire une place parmi eux. Le piston, le copinage y font loi. Je suis aussi passé à côté d’occasions de devenir riche (sourire), de riches Américains éblouis par mon talent artistique m’ont proposé de venir dessiner aux USA, me promettant un enrichissement personnel en quelques années.

Des offres que j’ai déclinées, car je n’ai pas pu quitter Paris, cette ville Lumière que les Kabyles, de la fin du XIXème siècle à ce jour ont contribué à bâtir, (mon grand-père même, Ali, a foulé le sol de la France dès 1908). Vous voyez que les Kabyles font partie de l’Histoire de cette ville ! Même si cette ville sait être aussi bien froide que chaleureuse, j’y suis profondément attaché, bien qu’il devienne de plus en plus difficile d’y vivre. Je fus contraint de quitter ce métier de caricaturiste car les libertés à Paris rétrécissent comme une peau de chagrin. En effet, les artistes sont de moins en moins tolérés dans les places publiques touristiques parisiennes. Je suis alors passé d’un art à un autre, celui de la chanson kabyle. Mais cela est une autre histoire, tout aussi passionnante.

Peut-on dire que l’exil est votre première source d’inspiration pour vos chansons ?

Mes premiers poèmes, bien avant de mettre une couleur musicale dessus, abordent les thèmes de l’amour, le mal-être, l’exil intérieur du poète le mal-aimé l’incompris, le sentiment d’être de nulle part. Déraciné, vivant à Paris, l’exil nous fait sentir son poids de jour en jour, d’année en année. Plus les années passent mieux on comprend ce qu’est l’exil. Plus on saisit son sens, plus les orages grondent. La dernière fois je discutais avec une Normande qui me disait souffrir, car elle se sent loin de sa Normandie natale. Je crois que rien ne peut remplacer la terre natale. En fait, nous recherchons tous notre enfance, des senteurs, des sensations qu’on retrouve là où l’on est né. L’Algérie me manque, la Kabylie, le village, me manquent encore plus. Si le thème de l’exil est récurrent dans ma poésie et mes chansons, c’est que le cœur et l’esprit y sont enchaînés.

Si la rouille est rampante sur ces chaînes, on pourrait croire que c’est pour les faire céder, mais il n’en est rien. La rouille est un mal de plus, sans remède, gain des années d’errance et de solitude. Je me suis beaucoup inspiré de Slimane Azem car j’ai compris avec les années ce qu’il pouvait ressentir loin de sa terre natale. Lui a été contraint à un exil forcé, et l’arbitraire a spolié sa maison familiale et ses terres ancestrales. Si Mohand Ou M’hand, le grand poète du XIXème siècle, qui m’a beaucoup inspiré, a été, quant à lui, poussé à l’errance sur les routes après la destruction de son village et la spoliation de ses terres par l’armée coloniale. Ces deux géants ont semé une poésie géniale née sur le brasier de la souffrance, de l’injustice, et les affres de l’exil forcé. Bien que l’exil devienne avec le temps un thème dominant dans ma poésie, il n’y a cependant aucune comparaison avec l’exil qu’on vécu ces deux poètes légendaires. La situation étouffante d’une Algérie qui peine à se démocratiser, où l’injustice sociale est criarde, nous condamne à un double exil. Lorsqu’on quitte la France pour aller respirer et se ressourcer dans le pays des ancêtres, on se rend vite compte que l’air devient rare et l’on se sent vite étranger chez soi.

Que peut-on dire de Paris d’hier et celui d’aujourd’hui ?

J’ai connu le Paris de la fin des années 1970, le Paris des années 1980 jusqu’à aujourd’hui. Paris est une ville merveilleuse, ville culturelle par excellence, une ville qui ne dort jamais où tous les arts se côtoient. On dit que Paris est la plus belle ville du monde, je le pense aussi. Paris est aussi une ville kabyle, la première langue étrangère qui y est parlée est le kabyle. Les Kabyles ont foulé les rues de cette ville dès la fin du XVIIIème siècle. Les idées indépendantistes algériennes sont nées à Paris, le Paris des idées, de la liberté, des arts, et des cultures. Mais Paris devient, hélas, une ville bourgeoise. La ville populaire de mon enfance tend à disparaître.

C’en est fini de Paris où les cafés, les bistrots faisaient la joie de vivre des quartiers, où chaque quartier formait un village, où les gens se connaissent et se retrouvent au bistrot. La plupart des cafés appartenaient à des Kabyles.

De surcroît, la culture kabyle était florissante à Paris. Dans tous les arrondissements et quartiers de Paris, à la nuit tombante, on pouvait entendre de la musique kabyle. Ce fut une réalité pendant près d’un siècle. La culture kabyle était présente dans les rues de Paris même si elle n’était pas visible dans les médias français, toujours en décalage avec la réalité sociale. J’ai connu le Paris populaire où il faisait bon vivre, où il était facile de se loger à moindre prix. Les hôtels meublés fleurissaient partout, on pouvait y louer une chambre facilement, en ne donnant juste que son prénom. Hélas, une politique d’urbanisation a fait disparaître la majorité des hôtels meublés, certains mêmes expropriés pour une bouchée de pain. Une politique qui consistait à pousser les plus pauvres vers la périphérie de Paris.

Ces hôtels meublés, qui appartenaient à des Kabyles pour la majorité d’entre eux, n’ont pas su se regrouper et s’organiser pour constituer une force afin de résister à la vente et aux expropriations. Je me souviens des années 1990 où des centaines d’hôtels meublés appartenant à des Kabyles ont été expropriés ou vendus par contrainte à la Mairie de Paris, livrant les occupants et locataires à l’expulsion. Tant de Kabyles ont été jetés à la rue, souvent dans un silence médiatique. J’ai connu l’association Droit au Logement (DAL) et leur avocat Maitre François Breteau, je me souviens de leur combat devant les tribunaux pour que des centaines de Kabyles expulsés de leur chambre d’hôtel soient relogés dignement. Je rends hommage ici à cette association, à Maître François Breteau, à l’abbé Pierre, qui ont tant œuvré pour un logement pour tous. C’est le Paris des ombres et des lumières !

A Paris les communautés qui ne se constituent pas en réseau ne peuvent peser dans la société française. On dit que Paris est la ville des poètes et des écrivains, mais en tant qu’étranger vous ne pouvez jamais publier si vous ne faites pas partie d’un réseau influent d’amis. Je vis et crée à Paris depuis presque 40 ans, mes créations naissent à Paris et pourtant aucun journal français n’a parlé de moi. J’ai pourtant fait un récital au conservatoire du VIIIème arrondissement, à deux pas de l’Elysée, en 2006. Il y avait des gens de la presse française dans la salle, mais aucun écho. Heureusement, le journaliste écrivain Youcef Zirem s’y trouvait.

Il a écrit plusieurs articles dans la presse algérienne. Ce qui est paradoxal, c’est que la France est le pays des libertés, et que l’Algérie peine à se démocratiser. Même s’il y a l’ouverture culturelle à Paris, il est presque impossible d’avoir un passage à la télévision, sauf peut-être si vous faites du folklore et que vous avez un ami travaillant à France Télévisions. Pourtant Paris est un brassage culturel des plus coloré qui fait la beauté de cette ville. Le Paris d’antan où l’on pouvait vivre et se loger avec de petits moyens est fini. Paris s’embourgeoise de plus en plus. La seule chance pour un faible salaire de se loger est un logement social. Mais quand vous faites une demande, on vous propose systématiquement la banlieue, même si vous êtes Parisien depuis 30 ou 40 ans, comme s’il fallait vider Paris de ses habitants pauvres. Le Paris populaire de mon enfance vit dans mes souvenirs.

Le Français est-il raciste ?

Il est difficile de répondre à cette question. En effet, le discours du raciste se base sur la généralisation. Je dirais que le Français n’est pas raciste, même s’il y a des racistes. Le Français est très ouvert sur l’autre, n’oublions pas que la France est une terre d’accueil, terre d’asile, même si ces dernières années on a tendance à s’en éloigner. Mais tout n’est pas simple.

Dans les crises économiques naissantes, souvent préfabriquées par les systèmes bancaires, les peuples d’Europe se recroquevillent et se tournent vers les discours racistes de partis d’extrême droite qui créent des boucs émissaires responsables de tous les maux de la société. Des sociétés ruinées souvent par les systèmes bancaires et la spéculation boursière, au lieu de s’attaquer aux véritables responsables pour leur demander des comptes, préfèrent se tourner vers les plus faibles, en particulier les étrangers pour les accuser et instaurer ainsi la peur et dresser les communautés entre elles. Ce qui est dommage en France, c’est qu’on ait banalisé l’extrême droite.

Du coup, les gens votant pour ce parti ne se cachent plus et pensent que leurs idées extrêmes et racistes sont normales. On a affaibli le parti communiste ouvrier pour raffermir l’extrême droite. Je pense que c’est un jeu dangereux et les médias sont en partie responsables de ce chaos. Il y aura toujours des gens merveilleux, mais le racisme est un fléau qui avance et s’installe dans les familles. La haine se nourrit de la haine. Seul l’amour est salvateur. Mais il faut arrêter de stigmatiser les communautés pour faire de l’information spectacle, semer la peur dans les foyers, afin d’éviter de pointer du doigt les véritables responsables des crises économiques et sociales qui sont des lobbies financiers quasi intouchables. Le Français n’est pas raciste, mais il a tendance à s’enfermer sur lui-même en période de crise. Seule l’éducation, l’école peuvent faire évoluer les mentalités pour un lendemain meilleur.

Les enfants des émigrés arrivent-ils à s’intégrer dans la société française ?

Certains y arrivent par de brillants parcours, mais cela est rare malheureusement. Comment pouvez-vous dire à des enfants nés en France « Intégrez-vous ! » Cela est déjà de la discrimination. Le parcours scolaire tel que je l’ai vécu est un parcours du combattant, et c’est encore pire aujourd’hui. Depuis la Première Guerre du Golfe, du 11 septembre 2001 à aujourd’hui les mentalités ont beaucoup changé. L’étranger devient suspect, et les portes se referment devant lui, partout il est poussé à la précarité, au chômage longue durée.

Au lieu de s’attaquer à l’échec scolaire, on tend à culpabiliser les familles immigrées et leurs enfants en leur rappelant leurs origines ethniques et leur manque d’intégration, ce qui est ressenti comme un déshonneur et une humiliation pour ces familles. Quand on blesse une famille, un enfant, quel en sera l’avenir ? A l’école, il y a des enseignants qui osent dire à des enfants en difficulté ou simplement étrangers que l’école ne sert à rien. N’est-ce pas terrible ? Je me souviens qu’une fois à l’université un professeur a dit, s’adressant majoritairement à des étudiants d’origine modeste et étrangère : «Les études universitaires ne mènent à rien ».

Je lui ai dit à la fin du cours : « De quel droit pouvez-vous dire cela ? Les études universitaires vous ont permis de devenir professeur, pourquoi voulez-vous briser nos rêves ? ». Il est demeuré muet. La France est une société de droits, il suffit d’appliquer la loi pour donner les mêmes chances à tous. Il reste encore du chemin. Pour le moment, les obstacles sont nombreux, le racisme et les habitudes aidant. Certaines communautés constituées s’en sortent mieux, comme elles influent sur la politique, elles arrivent à ouvrir des portes pour leurs enfants. Les Berbères Kabyles de France commencent eux aussi à s’organiser, à créer leurs médias pour avoir une visibilité qu’ils n’ont pas dans les médias français. Mais il reste encore à faire.

Les émigrés algériens se retrouvent-ils assez souvent dans des associations ou autres clubs ?

Il reste encore, heureusement, des cafés algériens, kabyles pour la plupart, à Paris. Ce sont véritablement les seuls lieux de rencontre. Il y a un grand nombre d’associations mais elles n’ont pas réussi à créer des lieux de rencontre, de partage. Ces associations manquent souvent d’ouverture, elles fonctionnent en petits comités restreints. Il y a Berbère Télévision mais cette chaîne n’a pas réussi à créer véritablement un lieu de rencontres.

Elle crée des rencontres sporadiques, mais il faut saluer ses efforts. Nous souffrons donc du manque de lieux de rencontres. Même les cafés ne le sont plus vraiment, il faut consommer beaucoup pour ne pas paraître suspect. Le matérialisme occidental est dans les esprits. La mentalité des cafés bistrots populaires a disparu. Maintenant le client ne vaut que par ce qu’il consomme. Il y a encore beaucoup à faire dans ce sens. Les nombreuses associations pourraient offrir des lieux de rencontres conviviales. Des bars ou des clubs culturels pourraient aussi se créer.

Quelle est la place des intellectuels algériens en France ?

L’intellectuel algérien en France peine à survivre, invisible aux passants. La société française ne reconnaît pas ses acquis. Il est poussé pour survivre vers des petits boulots, les plus basses besognes, il n’a d’existence que par le petit boulot qui l’use et l’humilie, comme s’il fallait l’empêcher de créer, d’écrire, en l’affamant, en lui offrant parfois le RSA (Revenu de solidarité active), l’aumône de l’Etat. Il est presque impossible pour un intellectuel algérien d’écrire dans la presse française surtout s’il a une plume libre portant des critiques sur le système algérien. Il apparaît que ce qui intéresse le plus la France, ce sont plus les Affaires que les Droits de l’Homme en Algérie.

L’intellectuel est acculé, esseulé, dos au mur, dans une société qui ne le reconnaît pas et qui veut lui retirer son âme en le poussant vers la survie. L’intellectuel algérien voit devant lui toutes les portes se fermer. J’en connais qui avaient une très belle plume et qui ont fini, abattues, ouvriers en bâtiment. Ceux qui arrivent à vendre leur âme, faisant fi de l’esprit critique, peuvent se voir gratifiés d’un poste de surveillant d’un collège.

Certains sont humiliés par les aumônes de l’Etat et les soupes populaires, côtoyant les déshérités et les clochards. Pour que l’intellectuel algérien ait une visibilité en France, il faut créer nos propres médias et nos propres réseaux d’influence.

Ces derniers temps, beaucoup d’émigrés algériens quittent la France pour s’installer au Canada ou ailleurs. Pourquoi ?

Parce qu’ailleurs on leur offre un avenir meilleur, un avenir où ils souffriraient moins du racisme, où ils auraient plus de droits. La France a malheureusement tendance à se refermer sur elle-même ces dernières années, voyant dans les migrants un danger, au lieu d’un atout économique. Le Canada offre beaucoup plus d’opportunités, les chances sont plus grandes. De plus les Algériens du Canada et des USA s’organisent mieux, peut-être à cause de la distance.

D’autres pays comme les Etats-Unis et les pays nordiques offrent une meilleure vie, et une meilleure réussite sociale. En France, les portes se ferment de plus en plus. La plupart d’entre nous sont dans la survie, sans aucune perspective d’évolution. Sans le frein de la distance, de la dureté du climat, beaucoup plus d’Algériens émigreraient vers le Canada, les Etats-Unis et les pays nordiques où il y a véritablement les chances d’une vie meilleure. En France, l’étranger paraît toujours suspect, même quand il veut acheter un bien, on lui met des obstacles à l’achat. En Amérique, vous achetez ce que vous voulez avec votre argent, la couleur et l’origine ethnique n’entrent pas en jeu. La mentalité et l’esprit outre Atlantique sont beaucoup plus évolués, et beaucoup plus ouverts qu’en Europe.

Quel est-il de l’avenir de l’émigration algérienne en France ?

Les Algériens aiment la France. La France aime l’Algérie. Ceci pour des raisons historiques. Il est rare de trouver une famille algérienne qui n’ait pas un membre de la famille en France. Je dirais que nos destins sont liés. Les Algériens aiment la langue française, la culture française, à voir le nombre croissant de journaux algériens francophones, il y aura toujours des échanges entre les deux pays, et personne ne pourra arrêter le flux migratoire vers la France. L’instauration du visa est une profonde injustice, vu les liens étroits qu’entretiennent les deux pays.

Il faudrait espérer qu’on retire ces visas de la honte qui séparent des familles, pour que revienne la libre circulation entre les deux rives, pour que prennent fin les trafics de visas en tous genres. On voit des visas se monnayer des centaines de milliers de dinars.

Mais cette libre circulation ne reviendra peut-être qu’avec la véritable démocratisation de l’Algérie. Les peuples ne désirent que cela. Seuls les politiques freinent pour l’intérêt des uns et des autres. J’ai l’espoir qu’il y aura de meilleures relations entre les deux rives dans un avenir proche.

Entretien réalisé par Mohand Cherif Zirem

Mon journal

23 juillet 21013

Le chanteur Brahim Saci à Mon Journal : « L’intellectuel algérien en France peine à survivre »
Le chanteur Brahim Saci à Mon Journal : « L’intellectuel algérien en France peine à survivre »
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